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respecter que par analogie. C’est d’ailleurs un fait connu que le culte de l’âge va en s’affaiblissant avec la civilisation. Si développé jadis, il se réduit aujourd’hui à quelques pratiques de politesse, inspirées par une sorte de pitié. On plaint les vieillards plus qu’on ne les craint. Les âges sont nivelés. Tous les hommes qui sont arrivés à la maturité se traitent à peu près en égaux. Par suite de ce nivellement, les mœurs des ancêtres perdent de leur ascendant ; car elles n’ont plus auprès de l’adulte de représentants autorisés. On est plus libre vis-à-vis d’elles parce qu’on est plus libre vis-à-vis de ceux qui l’incarnent. La solidarité des temps est moins sensible parce qu’elle n’a plus son expression matérielle dans le contact continu des générations successives. Sans doute, les effets de l’éducation première continuent à se faire sentir, mais avec moins de force, parce qu’ils ne sont pas entretenus.

Ce moment de la pleine jeunesse est d’ailleurs celui où les hommes sont le plus impatients de tout frein et le plus avides de changement. La vie qui circule en eux n’a pas encore eu le temps de se figer, de prendre définitivement des formes déterminées, et elle est trop intense pour se laisser discipliner sans résistance. Ce besoin se satisfera donc d’autant plus facilement qu’il sera moins contenu du dehors, et il ne peut se satisfaire qu’aux dépens de la tradition. Celle-ci est plus battue en brèche au moment même où elle perd de ses forces. Une fois donné, ce germe de faiblesse ne peut que se développer avec chaque génération ; car on transmet avec moins d’autorité des principes dont on sent moins l’autorité.

Une expérience caractéristique démontre cette influence de l’âge sur la force de la tradition.

Précisément parce que la population des grandes villes se recrute surtout par immigration, elle se compose essentiellement de gens qui, une fois adultes, ont quitté leurs foyers et se sont soustraits à l’action des anciens. Aussi le nombre des vieillards y est-il très faible, tandis qu’au contraire celui des hommes dans