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religieuse que l’on a donné le nom de naturisme. Mais peu à peu les dieux se détachent des choses avec lesquelles ils se confondaient. Ils deviennent des esprits qui, s’ils résident ici ou là de préférence, existent cependant en dehors des formes concrètes sous lesquelles ils s’incarnent ; c’est le règne de l’animisme[1]. Peu importe qu’ils soient multiples ou qu’ils aient été, comme chez les Juifs, ramenés à l’unité : dans un cas comme dans l’autre, le degré d’immanence est le même. S’ils sont en partie séparés des choses, ils sont toujours dans l’espace. Ils restent donc tout prés de nous, constamment mêlés à notre vie. Le polythéisme gréco-latin, qui est une forme plus élevée et mieux organisée de l’animisme, marque un progrès nouveau dans le sens de la transcendance. La résidence des dieux devient plus nettement distincte de celles des hommes. Retirés sur les hauteurs mystérieuses de l’Olympe ou dans les profondeurs de la terre, ils n’interviennent plus personnellement dans les affaires humaines que d’une manière assez intermittente. Enfin, avec le christianisme, Dieu sort définitivement de l’espace ; son royaume n’est plus de ce monde ; la dissociation entre la nature et le divin est même si complète qu’elle dégénère en antagonisme. En même temps, la notion de la divinité devient plus générale et plus abstraite ; car elle est formée non de sensations, comme dans le principe, mais d’idées. Le Dieu de l’humanité a nécessairement moins de compréhension que ceux de la cité ou du clan.

D’ailleurs, en même temps que la religion, les règles du droit s’universalisent, ainsi que celles de la morale. Liées d’abord à des circonstances locales, à des particularités ethniques, climatériques, etc., elles s’en affranchissent peu à peu et, du même coup, deviennent plus générales. Ce qui rend sensible cet accroissement de généralité, c’est le déclin ininterrompu du formalisme. Dans les sociétés inférieures, la forme même extérieure de la conduite est prédéterminée jusque dans ses détails. La

  1. V. Réville, Religions des peuples non civilisés, l, 67 et suiv. ; II, 230 et suiv.