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bien que dans leurs objets et, par suite, la conscience commune a un caractère défini. Mais elle change de nature à mesure que les sociétés deviennent plus volumineuses. Parce que ces dernières se répandent sur une plus vaste surface, elle est elle-même obligée de s’élever au-dessus de toutes les diversités locales, de dominer davantage l’espace et, par conséquent, de devenir plus abstraite. Car il n’y a guère que des choses générales qui puissent être communes à tous ces milieux divers. Ce n’est plus tel animal, mais telle espèce ; telle source, mais les sources ; telle forêt, mais la forêt in abstracto.

D’autre part, parce que les conditions de la vie ne sont plus partout les mêmes, ces objets communs, quels qu’ils soient, ne peuvent plus déterminer partout des sentiments aussi parfaitement identiques. Les résultantes collectives n’ont donc plus la même netteté, et cela d’autant plus que les éléments composants sont plus dissemblables. Plus il y a de différences entre les portraits individuels qui ont servi à faire un portrait composite, plus celui-ci est indécis. Il est vrai que les consciences collectives locales peuvent garder leur individualité au sein de la conscience collective générale et que, comme elles embrassent de moindres horizons, elles restent plus facilement concrètes. Mais nous savons qu’elles viennent peu à peu s’évanouir au sein de la première, à mesure que s’effacent les segments sociaux auxquels elles correspondent.

Le fait qui, peut-être, manifeste le mieux cette tendance croissante de la conscience commune, c’est la transcendance parallèle du plus essentiel de ses éléments, je veux parler de la notion de la divinité. À l’origine, les dieux ne sont pas distincts de l’univers ; mais tous les êtres naturels qui sont susceptibles d’avoir quelque influence sur la vie sociale, d’éveiller les craintes ou les espérances collectives, sont divinisés. Ce caractère ne leur est d’ailleurs pas communiqué du dehors, il leur est intrinsèque. Ils ne sont pas divins parce qu’un dieu habite en eux ; ils sont eux-mêmes les dieux. C’est à ce stade de l’évolution