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même que tout le groupe ne se meut pas en même temps et dans la même direction. Or nous savons que les mouvements propres des particuliers sont d’autant plus rares que la solidarité mécanique est plus développée.

Les exemples sont nombreux où l’on peut directement observer cette influence neutralisante de la conscience commune sur la division du travail. Tant que la loi et les mœurs font de l’inaliénabilité et de l’indivision de la propriété immobilière une stricte obligation, les conditions nécessaires à l’apparition de la division du travail ne sont pas nées. Chaque famille forme une masse compacte, et toutes se livrent à la même occupation, à l’exploitation du patrimoine héréditaire. Chez les Slaves, la Zadruga s’accroît souvent dans de telles proportions que la misère y est grande ; cependant, comme l’esprit domestique est très fort, on continue généralement à vivre ensemble, au lieu d’aller entreprendre au dehors des professions spéciales comme celles de marin et de marchand. Dans d’autres sociétés, où la division du travail est plus avancée, chaque classe a des fonctions déterminées et toujours les mêmes qui sont soustraites à toute innovation. Ailleurs, il y a des catégories entières de professions dont l’accès est plus ou moins formellement interdit aux citoyens. En Grèce[1], à Rome[2], l’industrie et le commerce étaient des carrières méprisées ; chez les Kabyles, certains métiers comme ceux de boucher, de fabricant de chaussures, etc., sont flétris par l’opinion publique[3]. La spécialisation ne peut donc pas se faire dans ces diverses directions. Enfin, même chez des peuples où la vie économique a déjà atteint un certain développement, comme chez nous au temps des anciennes corporations, les fonctions étaient réglementées de telle sorte que la division du travail ne

  1. Büsschenschütz, Besitz und Erwerb.
  2. D’après Denys d’Halicarnasse (IX, 25), pendant les premiers temps de la République, aucun Romain ne pouvait se faire marchand ou artisan. — Cicéron parle encore de tout travail mercenaire comme d’un métier dégradant (De off., I, 42).
  3. Hanoteau et Letourneux, La Kabylie, II, 23.