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dictait les traités, où la bonne foi en dirigeait l’exécution, où le sentiment de la solidarité des monarchies assurait avec le maintien de l’ordre public la durée des engagements contractés par les princes… Une Europe où les droits de chacun résultent des devoirs de tous était quelque chose de si étranger aux hommes d’état de l’ancien régime qu’il fallut une guerre d’un quart de siècle, la plus formidable qu’on eût encore vue, pour leur en imposer la notion et leur en démontrer la nécessité. La tentative que l’on fit au congrès de Vienne et dans les congrès qui suivirent pour donner à l’Europe une organisation élémentaire fut un progrès, et non un retour vers le passé[1]. »

Si cependant, dans certains cas, des peuples qui ne tiennent ensemble par aucun lien, qui même parfois se regardent comme ennemis[2], échangent entre eux des produits d’une manière plus ou moins régulière, il faut ne voir dans ces faits que de simples rapports de mutualisme qui n’ont rien de commun avec la division du travail[3]. Car, parce que deux organismes différents se trouvent avoir des propriétés qui s’ajustent utilement, il ne s’ensuit pas qu’il y ait entre eux un partage de fonctions[4].

  1. L’Europe et la Révolution française, l, 9 et 10.
  2. V. Kulischer, Der Handel auf den primitiven Culturstufen (Ztsch. f. Voelkerpsychologie, X, 1877, p. 378), et Schrader, Linguistisch-historische Forschungen zur Handelsgeschichte. Iena, 1886.
  3. Il est vrai que le mutualisme se produit généralement entre individus d’espèces différentes, mais le phénomène reste identique, alors même qu’il a lieu entre individus de même espèce. (V. sur le mutualisme Espinas, Sociétés animales, et Giraud, Les Sociétés chez les animaux. )
  4. Nous rappelons en terminant que nous avons seulement étudié dans ce chapitre comment il se fait qu’en général la division du travail va de plus en plus en progressant, et nous avons dit les causes déterminantes de ce progrès. Mais il peut très bien se faire que dans une société en particulier une certaine division du travail et, notamment, la division du travail économique, soit très développée quoique le type segmentaire y soit encore assez fortement prononcé. Il semble bien que c’est le cas de l’Angleterre. La grande industrie, le grand commerce paraissent y être aussi développés que sur le continent, quoique le système alvéolaire y soit encore très marqué, comme le prouvent et l’autonomie de la vie locale et l’autorité qui y conserve la tradition. (La valeur symptomatique de ce dernier fait sera déterminée dans le chapitre suivant.) C’est qu’en effet la division du travail étant un phénomène dérivé et secon-