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exclusivement dans un système de rapports économiques, d’arrangements privés dont l’égoïsme est le seul ressort. En réalité, la vie morale circule à travers toutes les relations qui la constituent, puisqu’elle ne serait pas possible si des sentiments sociaux, et par conséquent moraux, ne présidaient à son élaboration.

On objectera la division internationale du travail ; il semble évident que, dans ce cas du moins, les individus entre lesquels le travail se partage n’appartiennent pas à la même société. Mais il faut se rappeler qu’un groupe peut, tout en gardant son individualité, être enveloppé par un autre, plus vaste et qui en contient plusieurs du même genre. On peut affirmer qu’une fonction économique ou autre ne peut se diviser entre deux sociétés que si celles-ci participent à quelques égards à une même vie commune et, par conséquent, appartiennent à une même société. Supposez, en effet, que ces deux consciences collectives ne soient pas par quelque point fondues ensemble, on ne voit pas comment les deux agrégats pourraient avoir le contact continu qui est nécessaire ni, par suite, comment l’un d’eux pourrait abandonner au second l’une de ses fonctions. Pour qu’un peuple se laisse pénétrer par un autre, il faut qu’il ait cessé de s’enfermer dans un patriotisme exclusif et qu’il en ait appris un autre, plus compréhensif.

Au reste, on peut directement observer ce rapport des faits dans l’exemple le plus frappant de division internationale du travail que nous offre l’histoire. On peut dire, en effet, qu’elle ne s’est jamais vraiment produite qu’en Europe et de notre temps. Or, c’est à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci qu’a commencé à se former une conscience commune des sociétés européennes. « Il y a, dit. M. Sorel, un préjugé dont il importe de se défaire. C’est de se représenter l’Europe de l’ancien régime comme une société d’États régulièrement constituée, où chacun conformait sa conduite à des principes reconnus de tous, où le respect du droit établi gouvernait les transactions et