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le même, nous avons dû changer et ces changements en ont déterminé d’autres dans notre manière d’être heureux ; mais qui dit changements ne dit pas nécessairement progrès. On voit combien la division du travail nous apparaît sous un autre aspect qu’aux économistes. Pour eux, elle consiste essentiellement à produire davantage. Pour nous, cette productivité plus grande est seulement une conséquence nécessaire, un contre-coup du phénomène. Si nous nous spécialisons, ce n’est pas pour produire plus, mais c’est pour pouvoir vivre dans les conditions nouvelles d’existence qui nous sont faites.


IV

Un corollaire de tout ce qui précède, c’est que la division du travail ne peut s’effectuer qu’entre les membres d’une société déjà constituée.

En effet, quand la concurrence oppose des individus isolés et étrangers les uns aux autres, elle ne peut que les séparer davantage. S’ils disposent librement de l’espace, ils se fuiront ; s’ils ne peuvent sortir de limites déterminées, ils se différencieront, mais de manière à devenir encore plus indépendants les uns des autres. On ne peut citer aucun cas où des relations de pure hostilité se soient, sans l’intervention d’aucun autre facteur, transformées en relations sociales. Aussi, comme entre les individus d’une même espèce animale ou végétale il n’y a généralement aucun lien, la guerre qu’ils se font n’a-t-elle d’autre résultat que de les diversifier, de donner naissance à des variétés dissemblables et qui s’écartent toujours plus les unes des autres. C’est cette disjonction progressive que Darwin a appelée la loi de la divergence des caractères. Or, la division du travail unit en même temps qu’elle oppose ; elle fait converger les activités qu’elle différencie ; elle rapproche ceux qu’elle sépare. Puis-