Voici comme on peut concevoir que se fait cette rencontre. L’attrait de la nouveauté suffirait déjà à pousser l’homme à expérimenter ces plaisirs. Il y est même d’autant plus naturellement porté que la richesse et la complexité plus grandes de ces excitants lui font trouver plus médiocres ceux dont il s’était jusqu’alors contenté. Il peut d’ailleurs s’y adapter mentalement avant d’en avoir fait l’essai ; et comme en réalité ils correspondent aux changements qui se sont faits dans sa constitution, il pressent qu’il s’en trouvera bien. L’expérience vient ensuite confirmer ces pressentiments ; les besoins qui sommeillaient, s’éveillent, se déterminent, prennent conscience d’eux-mêmes et s’organisent. Ce n’est pas à dire toutefois que cet ajustement soit, dans tous les cas, aussi parfait ; que chaque produit nouveau, dû à de nouveaux progrès de la division du travail, corresponde toujours à un besoin réel de notre nature. Il est au contraire vraisemblable qu’assez souvent les besoins se contractent seulement parce qu’on a pris l’habitude de l’objet auquel ils se rapportent. Cet objet n’était ni nécessaire ni utile ; mais il s’est trouvé qu’on en a fait plusieurs fois l’expérience, et on s’y est si bien fait qu’on ne peut plus s’en passer. Les harmonies qui résultent de causes toutes mécaniques ne peuvent jamais être qu’imparfaites et approchées ; mais elles sont suffisantes pour maintenir l’ordre en général. C’est ce qui arrive à la division du travail. Les progrès qu’elle fait sont, non pas dans tous les cas, mais généralement, en harmonie avec les changements qui se font chez l’homme, et c’est ce qui leur permet de durer.
Mais, encore une fois, nous ne sommes pas pour cela plus heureux. Sans doute, une fois que ces besoins sont excités, ils ne peuvent rester en souffrance sans qu’il y ait douleur. Mais notre bonheur n’est pas plus grand parce qu’ils sont excités. Le point de repère par rapport auquel nous mesurions l’intensité relative de nos plaisirs est déplacé ; il en résulte un bouleversement de toute la graduation. Mais ce déclassement des plaisirs n’implique pas un accroissement. Parce que le milieu n’est plus