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et la science entretient ces aspirations en même temps qu’elle les satisfait.

Tous ces changements sont donc produits nécessairement par des causes nécessaires. Si notre intelligence et notre sensibilité se développent et s’aiguisent, c’est que nous les exerçons davantage ; et si nous les exerçons plus, c’est que nous y sommes contraints par la violence plus grande de la lutte que nous avons à soutenir. Voilà comment, sans l’avoir voulu, l’humanité se trouve apte à recevoir une culture plus intense et plus variée.

Cependant, si un autre facteur n’intervenait, cette simple prédisposition ne saurait susciter elle-même les moyens de se satisfaire ; car elle ne constitue qu’une aptitude à jouir et, suivant la remarque de M. Bain, « de simples aptitudes à jouir ne provoquent pas nécessairement le désir. Nous pouvons être constitués de manière à prendre du plaisir à cultiver la musique, la peinture, la science, et cependant à ne pas le désirer, si on nous en a toujours empêchés[1]. » Même quand nous sommes poussés vers un objet par une impulsion héréditaire et très forte, nous ne pouvons le désirer qu’après être entrés en rapports avec lui. L’adolescent qui n’a jamais entendu parler des relations sexuelles ni des joies qu’elles procurent, peut bien éprouver un malaise vague et indéfinissable ; il peut avoir la sensation que quelque chose lui manque, mais il ne sait pas quoi et, par conséquent, n’a pas de désirs sexuels proprement dits ; aussi ces aspirations indéterminées peuvent-elles assez facilement dévier de leurs fins naturelles et de leur direction normale. Mais, au moment même où l’homme est en état de goûter ces jouissances nouvelles et les appelle même inconsciemment, il les trouve à sa portée, parce que la division du travail s’est en même temps développée et qu’elle les lui fournit. Sans qu’il y ait à cela la moindre harmonie préétablie, ces deux ordres de faits se rencontrent, tout simplement parce qu’ils sont des effets d’une même cause.

  1. Émotions et Volonté, 419.