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besoin, et comme l’homme primitif n’a aucun besoin de tous ces produits que l’homme civilisé a appris à désirer et qu’une organisation plus complexe du travail a précisément pour effet de lui fournir, nous ne pouvons comprendre d’où vient la spécialisation croissante des tâches que si nous savons comment ces besoins nouveaux se sont constitués.


III

Si le travail se divise davantage à mesure que les sociétés deviennent plus volumineuses et plus denses, ce n’est pas parce que les circonstances extérieures y sont plus variées, c’est que la lutte pour la vie y est plus ardente.

Darwin a très justement observé que la concurrence entre deux organismes est d’autant plus vive qu’ils sont plus analogues. Ayant les mêmes besoins et poursuivant les mêmes objets, ils se trouvent partout en rivalité. Tant qu’ils ont plus de ressources qu’il ne leur en faut, ils peuvent encore vivre côte à côte ; mais si leur nombre vient à s’accroître dans de telles proportions que tous les appétits ne puissent plus être suffisamment satisfaits, la guerre éclate, et elle est d’autant plus violente que cette insuffisance est plus marquée, c’est-à-dire que le nombre des concurrents est plus élevé. Il en est tout autrement si les individus qui coexistent sont d’espèces ou de variétés différentes. Comme ils ne se nourrissent pas de la même manière et ne mènent pas le même genre de vie, ils ne se gênent pas mutuellement ; ce qui fait prospérer les uns est sans valeur pour les autres. Les occasions de conflits diminuent donc avec les occasions de rencontre, et cela d’autant plus que ces espèces ou variétés sont plus distantes les unes des autres. « Ainsi, dit Darwin, dans une région peu étendue, ouverte à l’immigration et où, par conséquent, la lutte d’individu à individu doit être