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1o Tandis que les sociétés inférieures se répandent sur des aires immenses relativement au nombre des individus qui les composent, chez les peuples plus avancés, la population va toujours en se concentrant. « Opposons, dit M. Spencer, la populosité des régions habitées par des tribus sauvages avec celle des régions d’une égale étendue en Europe ; ou bien, opposons la densité de la population en Angleterre sous l’heptarchie avec la densité qu’elle présente aujourd’hui, et nous reconnaîtrons que la croissance produite par union de groupes s’accompagne aussi d’une croissance interstitielle[1]. » Les changements qui se sont successivement effectués dans la vie industrielle des nations démontrent la généralité de cette transformation. L’industrie des nomades, chasseurs ou pasteurs, implique en effet l’absence de toute concentration, la dispersion sur une surface aussi grande que possible. L’agriculture, parce qu’elle nécessite une vie sédentaire, suppose déjà un certain resserrement des tissus sociaux, mais encore bien incomplet, puisque entre chaque famille il y a des étendues de terre interposées[2]. Dans la cité, quoique la condensation y fût plus grande, cependant les maisons n’étaient pas contiguës, car la mitoyenneté n’était pas connue du droit romain[3]. Elle est née sur notre sol et atteste que la trame sociale y est devenue moins lâche[4]. D’autre part, depuis leurs origines, les sociétés européennes ont vu leur densité s’accroître d’une manière continue, malgré quelques cas de régression passagère[5].

  1. Sociologie, II, 31.
  2. « Colunt diversi ac discreti, dit Tacite des Germains, suam quisque domum spatio circum lat. » (Germain., 16)
  3. V. dans Accarias, Précis, I, 640, la liste des servitudes urbaines. Cf. Fustel, La Cité ant., p. 65.
  4. En raisonnant ainsi, nous n’entendons pas dire que les progrès de la densité résultent des changements économiques. Les deux faits se conditionnent mutuellement, et cela suffit pour que la présence de l’un atteste celle de l’autre.
  5. V. Levasseur, La Population française, passim.