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démontrer d’une autre manière les devoirs de charité en les déduisant du concept de la personne humaine. Mais la démonstration n’est pas plus probante. Traiter la personne humaine comme une fin en soi, ce n’est pas seulement, dit-il, la respecter négativement, c’est encore la développer autant qu’il est possible, aussi bien chez autrui qu’en soi-même. Mais une telle explication peut tout au plus rendre compte de cette charité inférieure, que nous faisons avec notre luxe et notre superflu. Tout au contraire, la charité véritable, celle qui consiste dans un don de soi-même, implique nécessairement que je subordonne ma personne à une fin qui la dépasse. Je veux que cette fin soit la personne humaine d’autrui ; il n’en est pas moins vrai que je ne puis exalter ainsi l’humanité chez les autres qu’à condition de l’humilier en moi, la rabaissant au rôle de moyen. De tels actes seraient donc dénués de toute valeur morale positive puisque, si d’un côté ils sont conformes à la loi, ils la violent par un autre. Or il s’en faut qu’ils soient exceptionnels et rares ; toute la vie en est pleine, parce qu’autrement elle serait impossible. Par exemple, est-ce que la société conjugale ne suppose pas que les époux se donnent mutuellement et intégralement l’un à l’autre ? Aussi, rien n’est-il plus lamentable que de voir la manière dont Kant déduit les règles constitutives du mariage. À ses yeux, cet acte de sacrifice par lequel l’époux consent d’être un instrument de plaisir pour l’autre époux, est, par soi-même, immoral[1] et ne perd ce caractère que s’il est racheté par un sacrifice semblable et réciproque du second au premier. C’est ce troc de personnalités qui remet les choses en état et qui rétablit l’équilibre moral !

Les difficultés ne sont pas moindres pour la morale de la perfection. Elle permet bien de comprendre pourquoi l’individu

  1. In diesem Akt macht sich ein Mensch selbst zur Sache ; welches dem Rechte der Menscheit an seiner eigenen Person widerstreitet. (Metaphysik der Sitten, 1re partie, § 25.)