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l’oisiveté des temps primitifs n’a pas perdu pour eux ses anciens attraits. Ces métamorphoses coûtent donc beaucoup pendant très longtemps sans rien rapporter. Les générations qui les inaugurent n’en recueillent pas les fruits, s’il y en a, parce qu’ils viennent trop tardivement. Elles n’en ont que la peine. Par conséquent, ce n’est pas l’attente d’un plus grand bonheur qui les entraîne dans de telles entreprises.

Mais, en fait, est-il vrai que le bonheur de l’individu s’accroisse à mesure que l’homme progresse ? Rien n’est plus douteux.


II

Assurément, il y a bien des plaisirs auxquels nous sommes ouverts aujourd’hui et que des natures plus simples ne connaissent pas. Mais, en revanche, nous sommes exposés à bien des souffrances qui leur sont épargnées, et il n’est pas sur du tout que la balance se solde à notre profit. La pensée est sans doute une source de joies, et qui peuvent être très vives ; mais, en même temps, que de joies elle trouble ! Pour un problème résolu, que de questions soulevées qui restent « sans réponse ! Pour un doute éclairci, que de mystères aperçus qui nous déconcertent ! De même, si le sauvage ne connaît pas les plaisirs que procure une vie très active, en retour, il est inaccessible à l’ennui, ce tourment des esprits cultivés ; il laisse doucement couler sa vie sans éprouver perpétuellement le besoin d’en remplir les trop courts instants de faits nombreux et pressés. N’oublions pas d’ailleurs que le travail n’est encore pour la plupart des hommes qu’une peine et qu’un fardeau.

On objectera que, chez les peuples civilisés, la vie est plus variée et que la variété est nécessaire au plaisir. Mais, en même temps qu’une mobilité plus grande, la civilisation apporte avec elle plus d’uniformité ; car c’est elle qui a imposé à l’homme le travail monotone et continu. Le sauvage va d’une occupation à