Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/282

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mettre l’homme en état de mener cette existence modeste qui est la plus favorable au plaisir, il n’était pas nécessaire d’accumuler indéfiniment des excitants de toute sorte. Un développement modéré eût suffi pour assurer aux individus toute la somme de jouissances dont ils sont capables. L’humanité serait rapidement parvenue à un état stationnaire d’où elle ne serait plus sortie. C’est ce qui est arrivé aux animaux : la plupart ne changent plus depuis des siècles, parce qu’ils sont arrivés à cet état d’équilibre.


D’autres considérations conduisent à la même conclusion.

On ne peut pas dire d’une manière absolue que tout état agréable est utile, que le plaisir et l’utilité varient toujours dans le même sens et le même rapport. Cependant, un organisme qui, en principe, se plairait à des choses qui lui nuisent, ne pourrait évidemment pas se maintenir. On peut donc accepter comme une vérité très générale que le plaisir n’est pas lié aux états nuisibles, c’est-à-dire qu’en gros le bonheur coïncide avec l’état de santé. Seuls, les êtres atteints de quelque perversion physiologique ou psychologique trouvent de la jouissance dans des états maladifs. Or, la santé consiste dans une activité moyenne. Elle implique en effet un développement harmonique de toutes les fonctions, et les fonctions ne peuvent se développer harmoniquement qu’à condition de se modérer les unes les autres, c’est-à-dire de se contenir mutuellement en deçà de certaines limites, au delà desquelles la maladie commence et le plaisir cesse. Quant à un accroissement simultané de toutes les facultés, il n’est possible pour un être donné que dans une mesure très restreinte qui est marquée par l’état congénital de l’individu.

On comprend de cette manière ce qui limite le bonheur humain ; c’est la constitution même de l’homme, pris à chaque moment de l’histoire. Étant donnés son tempérament, le degré de développement physique et moral auquel il est parvenu, il y a un maximum de bonheur comme un maximum d’activité qu’il ne