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pourquoi les premières économies apportent avec elles si peu de joie : c’est qu’elles sont trop petites pour améliorer la situation. Les avantages insignifiants qu’elles procurent ne compensent pas les privations qu’elles ont coûté. De même, un homme dont la fortune est excessive ne trouve plus de plaisir qu’à des bénéfices exceptionnels, car il en mesure l’importance à ce qu’il possède déjà. Il en est tout autrement des fortunes moyennes. Ici, et la grandeur absolue et la grandeur relative des variations sont dans les meilleures conditions pour que le plaisir se produise, car elles sont facilement assez importantes, et pourtant il n’est pas nécessaire qu’elles soient extraordinaires pour être estimées à leur prix. Le point de repère qui sert à mesurer leur valeur n’est pas encore assez élevé pour qu’il en résulte une forte dépréciation. L’intensité d’un excitant agréable ne peut donc s’accroître utilement qu’entre des limites encore plus rapprochées que nous ne disions tout d’abord, car il ne produit tout son effet que dans l’intervalle qui correspond à la partie moyenne de l’activité agréable. En deçà et au delà, le plaisir existe encore, mais il n’est pas en rapport avec la cause qui le produit, tandis que, dans cette zone tempérée, les moindres oscillations sont goûtées et appréciées. Rien n’est perdu de l’énergie de l’excitation qui se convertit toute en plaisir[1].

Ce que nous venons de dire de l’intensité de chaque irritant pourrait se répéter de leur nombre. Ils cessent d’être agréables quand ils sont trop ou trop peu nombreux, comme quand ils dépassent ou n’atteignent pas un certain degré de vivacité. Ce n’est pas sans raison que l’expérience humaine voit dans l’aurea mediocritas la condition du bonheur.

Si donc la division du travail n’avait réellement progressé que pour accroître notre bonheur, il y a longtemps qu’elle serait arrivée à sa limite extrême, ainsi que la civilisation qui en résulte, et que l’une et l’autre se seraient arrêtées. Car, pour

  1. Cf. Wundt, loc. cit.