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Cette explication est classique en économie politique. Elle paraît d’ailleurs si simple et si évidente qu’elle est admise inconsciemment par une foule de penseurs dont elle altère les conceptions. C’est pourquoi il est nécessaire de l’examiner tout d’abord.


I

Rien n’est moins démontré que le prétendu axiome sur lequel elle repose.

On ne peut assigner aucune borne rationnelle à la puissance productive du travail. Sans doute, elle dépend de l’état de la technique, des capitaux, etc. Mais ces obstacles ne sont jamais que provisoires, comme le prouve l’expérience, et chaque génération recule la limite à laquelle s’était arrêtée la génération précédente. Quand même elle devrait parvenir un jour à un maximum qu’elle ne pourrait plus dépasser — ce qui est une conjecture toute gratuite, — du moins il est certain que, dès à présent, elle a derrière elle un champ de développement immense. Si donc, comme on le suppose, le bonheur s’accroissait régulièrement avec elle, il faudrait aussi qu’il pût s’accroître indéfiniment ou que, tout au moins, les accroissements dont il est susceptible fussent proportionnés aux précédents. S’il augmentait à mesure que les excitants agréables deviennent plus nombreux et plus intenses, il serait tout naturel que l’homme cherchât à produire toujours davantage pour jouir encore davantage. Mais, en réalité, notre puissance de bonheur est très restreinte.

En effet, c’est une vérité généralement reconnue aujourd’hui que le plaisir n’accompagne ni les états de conscience qui sont trop intenses, ni ceux qui sont trop faibles. Il y a douleur quand l’activité fonctionnelle est insuffisante ; mais une activité excessive produit les mêmes effets[1]. Certains physiologistes croient

  1. Spencer, Psychologie, I, 283. — Wundt, Psychologie physiologique, I, ch. X, §1.