Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sanctions qui y sont attachées est sensiblement moins accentué. Les fautes professionnelles déterminent un mouvement de réprobation beaucoup plus faible que les attentats contre la morale publique.

Cependant, les règles de la morale et du droit professionnels sont impératives comme les autres. Elles obligent l’individu à agir en vue de fins qui ne lui sont pas propres, à faire des concessions, à consentir des compromis, à tenir compte d’intérêts supérieurs aux siens. Par conséquent, même là où la société repose le plus complètement sur la division du travail, elle ne se résout pas en une poussière d’atomes juxtaposés, entre lesquels il ne peut s’établir que des contacts extérieurs et passagers. Mais les membres en sont unis par des liens qui s’étendent bien au delà des moments si courts où l’échange s’accomplit. Chacune des fonctions qu’ils exercent est, d’une manière constante, dépendante des autres et forme avec elles un système solidaire. Par suite, de la nature de la tâche choisie dérivent des devoirs permanents. Parce que nous remplissons telle fonction, domestique ou sociale, nous sommes pris dans un réseau d’obligations dont nous n’avons pas le droit de nous affranchir. Il est surtout un organe vis-à-vis duquel notre état de dépendance va toujours croissant : c’est l’État. Les points par lesquels nous sommes en contact avec lui se multiplient ainsi que les occasions où il a pour charge de nous rappeler au sentiment de la solidarité commune.

Ainsi, l’altruisme n’est pas destiné à devenir, comme le veut M. Spencer, une sorte d’ornement agréable de notre vie sociale ; mais c’en sera toujours la base fondamentale. Comment en effet pourrions-nous jamais nous en passer ? Les hommes ne peuvent vivre ensemble sans s’entendre et, par conséquent, sans se faire des sacrifices mutuels, sans se lier les uns aux autres d’une manière forte et durable. Toute société est une société morale. À certains égards, ce caractère est même plus prononcé dans les sociétés organisées. Parce que l’individu ne se suffit pas, c’est de