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conditions dans les propriétés essentielles de la matière organisée. La division du travail social n’apparaît plus que comme une forme particulière de ce processus général, et les sociétés, en se conformant à cette loi, semblent céder à un courant qui est né bien avant elles et qui entraîne dans le même sens le monde vivant tout entier.

Un pareil fait ne peut évidemment pas se produire sans affecter profondément notre constitution morale ; car le développement de l’homme se fera dans deux sens tout à fait différents, suivant que nous nous abandonnerons à ce mouvement ou que nous y résisterons. Mais alors une question pressante se pose : de ces deux directions laquelle faut-il vouloir ? Notre devoir est-il de chercher à devenir un être achevé et complet, un tout qui se suffit à soi-même, ou bien au contraire de n’être que la partie d’un tout, l’organe d’un organisme ? En un mot, la division du travail, en même temps qu’elle est une loi de la nature, est-elle aussi une règle morale de la conduite humaine, et, si elle a ce caractère, pour quelles causes et dans quelle mesure ? Il n’est pas nécessaire de démontrer la gravité de ce problème pratique ; car, quelque jugement qu’on porte sur la division du travail, tout le monde sent bien qu’elle est et qu’elle devient de plus en plus une des bases fondamentales de l’ordre social ; mais pour le résoudre, comment procéderons-nous ?

I

D’ordinaire, pour savoir si un précepte de conduite est ou non moral, on le confronte avec une formule générale de la moralité que l’on a antérieurement établie ; suivant qu’il en peut être déduit ou qu’il la contredit, on lui reconnaît une valeur morale ou on la lui refuse.

Nous ne saurions suivre cette méthode ; car, pour qu’elle pût donner des résultats, il faudrait que cette formule, qui doit servir