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société ne saurait donc en aucun cas se réduire à faire exécuter passivement les contrats ; il est aussi de déterminer à quelles conditions ils sont exécutoires et, s’il y a lieu, de les restituer sous leur forme normale. L’entente des parties ne peut rendre juste une clause qui par elle-même ne l’est pas, et il y a des règles de justice dont la justice sociale doit prévenir la violation, même si elle a été consentie par les intéressés.

Une réglementation est ainsi nécessaire dont l’étendue ne peut être limitée par avance. Le contrat, dit M. Spencer, a pour objet d’assurer au travailleur l’équivalent de la dépense que lui a causée son travail[1]. Si tel est vraiment le rôle du contrat, il ne pourra jamais le remplir qu’à condition d’être réglementé bien plus minutieusement qu’il n’est aujourd’hui ; car ce serait un vrai miracle s’il suffisait à produire sûrement cette équivalence. En fait, c’est tantôt le gain qui dépasse la dépense, tantôt la dépense qui dépasse le gain ; et la disproportion est souvent éclatante. Mais, répond toute une école, si les gains sont trop bas, la fonction sera délaissée pour d’autres ; s’ils sont trop élevés, elle sera recherchée et la concurrence diminuera les profits. On oublie que toute une partie de la population ne peut pas quitter ainsi sa fonction, parce qu’aucune autre ne lui est accessible. Ceux mêmes qui ont davantage la liberté de leurs mouvements ne peuvent pas la reprendre en un instant ; de pareilles révolutions sont toujours longues à s’accomplir. En attendant, des contrats injustes, insociaux par définition, ont été exécutés avec le concours de la société, et, quand l’équilibre a été rétabli sur un point, il n’y a pas de raison pour qu’il ne se rompe pas sur un autre.

Il n’est pas besoin de démontrer que cette intervention, sous ses différentes formes, est de nature éminemment positive, puisqu’elle a pour effet de déterminer la manière dont nous devons coopérer. Ce n’est pas elle, il est vrai, qui donne le branle aux

  1. Bases de la morale évolutionniste, p. 124 et suiv.