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c’est-à-dire à acquérir le plus de droits possible en échange des moindres obligations possible.

Il est donc nécessaire que le partage des uns et des autres soit prédéterminé, et cependant il ne peut se faire d’après un plan préconçu. Il n’y a rien dans la nature des choses de quoi l’on puisse déduire que les obligations de l’un ou de l’autre doivent aller jusqu’à telle limite plutôt qu’à telle autre. Mais toute détermination de ce genre ne peut résulter que d’un compromis ; c’est un moyen terme entre la rivalité des intérêts en présence et leur solidarité. C’est une position d’équilibre qui ne peut se trouver qu’après des tâtonnements plus ou moins laborieux. Or, il est bien évident que nous ne pouvons ni recommencer ces tâtonnements, ni restaurer à nouveaux frais cet équilibre toutes les fois que nous nous engageons dans quelque relation contractuelle. Tout nous manque pour cela. Ce n’est pas au moment où les difficultés surgissent qu’il faut les résoudre, et cependant nous ne pouvons ni prévoir la variété des circonstances possibles à travers lesquelles se déroulera notre contrat, ni fixer par avance à l’aide d’un simple calcul mental quels seront, dans chaque cas, les droits et les devoirs de chacun, sauf dans les matières dont nous avons une pratique toute particulière. D’ailleurs, les conditions matérielles de la vie s’opposent à ce que de telles opérations puissent être répétées. Car, à chaque instant et souvent à l’improviste, nous nous trouvons contracter de ces liens, soit que nous achetions, soit que nous vendions, soit que nous voyagions, soit que nous louions des services, soit que nous descendions dans une hôtellerie, etc. La plupart de nos relations avec autrui sont de nature contractuelle. Si donc il fallait à chaque fois instituer à nouveau les luttes, les pourparlers nécessaires pour bien établir toutes les conditions de l’accord dans le présent et dans l’avenir, nous serions immobilisés. Pour toutes ces raisons, si nous n’étions liés que par les termes de nos contrats, tels qu’ils ont été débattus, il n’en résulterait qu’une solidarité précaire.