Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/251

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus impossible de sortir d’une famille par un acte d’autorité privée que d’y entrer. De même que le lien de parenté ne résulte pas d’un engagement contractuel, il ne peut pas être rompu comme un engagement de ce genre. Chez les Iroquois, on voit parfois une partie du clan en sortir pour aller grossir le clan voisin[1]. Chez les Slaves, un membre de la Zadruga qui est fatigué de la vie commune peut se séparer du reste de la famille et devenir pour elle juridiquement un étranger, de même qu’il peut être exclu par elle[2]. Chez les Germains, une cérémonie peu compliquée permettait à tout Franc qui en avait le désir de se dégager complètement de toutes les obligations de la parenté[3]. À Rome, le fils ne pouvait pas sortir de sa famille par sa seule volonté, et à ce signe nous reconnaissons un type social plus élevé. Mais ce lien que le fils ne pouvait pas rompre pouvait être brisé par le père ; c’est dans cette opération que consistait l’émancipation. Aujourd’hui, ni le père ni le fils ne peuvent modifier l’état naturel des relations domestiques : elles restent telles que la naissance les détermine.

En résumé, en même temps que les obligations domestiques deviennent plus nombreuses, elles prennent, comme on dit, un caractère public. Non seulement, en principe, elles n’ont pas une origine contractuelle, mais le rôle qu’y joue le contrat va toujours en diminuant ; au contraire, le contrôle social sur la manière dont elles se nouent, se dénouent, se modifient, ne fait qu’augmenter. La raison en est dans l’effacement progressif de l’organisation segmentaire. La famille, en effet, est pendant longtemps un véritable segment social. À l’origine, elle se confond avec le clan ; si, plus tard, elle s’en distingue, c’est comme la partie du tout ; elle est le produit d’une segmentation secondaire du clan, identique à celle qui a donné naissance au clan lui-même, et, quand ce dernier a disparu, elle se maintient

  1. Morgan, Ancient Society, p. 81.
  2. Krauss, Op. cit., p. 113. et suiv.
  3. Loi salique, tit. LX.