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XVIIIe siècle, des désignations multiples auraient été nécessaires pour indiquer exactement ce que les hommes tels que Wolff, Haller, Charles Bonnet avaient de remarquable dans plusieurs catégories des sciences et des lettres. Au XIXe siècle, cette difficulté n’existe plus ou, du moins, elle est très rare[1]. » Non seulement le savant ne cultive plus simultanément des sciences différentes, mais il n’embrasse même plus l’ensemble d’une science tout entière. Le cercle de ses recherches se restreint à un ordre déterminé de problèmes ou même à un problème unique. En même temps, la fonction scientifique qui, jadis, se cumulait presque toujours avec quelque autre plus lucrative, comme celle de médecin, de prêtre, de magistrat, de militaire, se suffit de plus en plus à elle-même. M. de Candolle prévoit même qu’un jour prochain la profession de savant et celle de professeur, aujourd’hui encore si intimement unies, se dissocieront définitivement.

Les spéculations récentes de la philosophie biologique ont achevé de nous faire voir dans la division du travail un fait d’une généralité que les économistes, qui en parlèrent pour la première fois, n’avaient pas pu soupçonner. On sait, en effet, depuis les travaux de Wolff, de Von Baer, de Milne-Edwards, que la loi de la division du travail s’applique aux organismes comme aux sociétés ; on a même pu dire qu’un organisme occupe une place d’autant plus élevée dans l’échelle animale que les fonctions y sont plus spécialisées. Cette découverte a eu pour effet, à la fois, d’étendre démesurément le champ d’action de la division du travail et d’en rejeter les origines dans un passé infiniment lointain, puisqu’elle devient presque contemporaine de l’avènement de la vie dans le monde. Ce n’est plus seulement une institution sociale qui a sa source dans l’intelligence et dans la volonté des hommes ; mais c’est un phénomène de biologie générale dont il faut, semble-t-il, aller chercher les

  1. Loc. cit.