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ses produits contre ceux d’autrui, prêter son assistance et recevoir un paiement, entrer dans telle ou telle association pour mener une entreprise, petite ou grande, sans obéir à la direction de la société dans son ensemble[1]. » La sphère de l’action sociale irait donc de plus en plus en se rétrécissant, car elle n’aurait plus d’autre objet que d’empêcher les individus d’empiéter les uns sur les autres et de se nuire réciproquement, c’est-à-dire qu’elle ne serait plus que négativement régulatrice.

Dans ces conditions, le seul lien qui reste entre les hommes, c’est l’échange absolument libre. « Toutes les affaires industrielles… se font par voie d’échange libre. Ce rapport devient prédominant dans la société à mesure que l’activité individuelle devient prédominante[2]. » Or, la forme normale de l’échange est le contrat : c’est pourquoi, « à mesure qu’avec le déclin du militarisme et l’ascendant de l’industrialisme la puissance comme la portée de l’autorité diminuent et que l’action libre augmente, la relation du contrat devient générale ; enfin, dans le type industriel pleinement développé, cette relation devient universelle[3]. »

Par là, M. Spencer ne veut pas dire que la société repose jamais sur un contrat implicite ou formel. L’hypothèse d’un contrat social est au contraire inconciliable avec le principe de la division du travail ; plus on fait grande la part de ce dernier, plus complètement on doit renoncer au postulat de Rousseau. Car, pour qu’un tel contrat soit possible, il faut qu’à un moment donné toutes les volontés individuelles s’entendent sur les bases communes de l’organisation sociale et, par conséquent, que chaque conscience particulière se pose le problème politique dans toute sa généralité. Mais pour cela, il faut que chaque individu sorte de sa sphère spéciale, que tous jouent également le même rôle, celui d’hommes d’État et de constituants. Représen-

  1. Sociol., III, p. 808.
  2. Ibid., II. p. 160.
  3. Ibid., III, p. 813.