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duelle, ce n’est pas que celle-ci ail été comprimée ou refoulée artificiellement, c’est tout simplement qu’à ce moment de l’histoire elle n’existait pas.

D’ailleurs, M. Spencer reconnaît lui-même que, parmi ces sociétés, beaucoup ont une constitution si peu militaire et autoritaire qu’il les qualifie lui-même de démocratiques[1] ; seulement, il veut y voir un premier prélude de ces sociétés de l’avenir qu’il appelle industrielles. Mais pour cela, il lui faut méconnaître ce fait que dans ces sociétés, tout comme dans celles qui sont soumises à un gouvernement despotique, l’individu n’a pas de sphère d’action qui lui soit propre, comme le prouve l’institution générale du communisme ; que les traditions, les préjugés, les usages collectifs de toute sorte ne pèsent pas sur lui d’un poids moins lourd que ne ferait une autorité constituée. Aussi ne peut-on les traiter de démocratiques qu’en détournant le mot de son sens ordinaire. D’autre part, il aboutit à cette étrange conclusion que l’évolution sociale s’est essayée dès le premier pas à produire les types les plus parfaits, puisque nulle force gouvernementale n’existe d’abord que celle de la volonté commune exprimée par la horde assemblée »[2]. Le mouvement de l’histoire serait-il donc circulaire et le progrès ne consisterait-il que dans un retour en arrière ?

D’une manière générale, il est aisé de comprendre que les individus ne peuvent être soumis qu’à un despotisme collectif ; car les membres d’une société ne peuvent être dominés que par une force qui leur soit supérieure, et il n’en est qu’une qui ait cette qualité : c’est celle du groupe. Une personnalité quelconque, si puissante qu’elle soit, ne pourrait rien à elle seule contre une société tout entière ; celle-ci ne peut donc être asservie malgré soi. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu, la force des gouvernements autoritaires ne leur vient pas d’eux-mêmes, mais dérive de la constitution même de la société. Si d’ailleurs l’état

  1. Sociol., II, p. 154-155.
  2. Ibid., III, p. 426-427.