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généraux peuvent être ou très étroits, comme dans les pays centralisés de l’Europe actuelle, ou plus lâches, comme dans les simples confédérations. Mais le principe de la structure est le même, et c’est pourquoi la solidarité mécanique persiste jusque dans les sociétés les plus élevées.

Seulement, de même qu’elle n’y est plus prépondérante, l’arrangement par segments n’est plus, comme précédemment, l’ossature unique, ni même l’ossature essentielle de la société. D’abord, les divisions territoriales ont nécessairement quelque chose d’artificiel. Les liens qui résultent de la cohabitation n’ont pas dans le cœur de l’homme une source aussi profonde que ceux qui viennent de la consanguinité. Aussi ont-ils une bien moindre force de résistance. Quand on est né dans un clan, on n’en peut pas plus changer, pour ainsi dire, que de parents. Les mêmes raisons ne s’opposent pas à ce qu’on change de ville ou de province. Sans doute, la distribution géographique coïncide généralement et en gros avec une certaine distribution morale de la population. Chaque province, par exemple, chaque division territoriale a des mœurs et des coutumes spéciales, une vie qui lui est propre. Elle exerce ainsi sur les individus qui sont pénétrés de son esprit une attraction qui tend à les maintenir en place et, au contraire, à repousser les autres. Mais, au sein d’un même pays, ces différences ne sauraient être ni très nombreuses, ni très tranchées. Les segments sont donc plus ouverts les uns aux autres. Et en effet, dès le moyen âge, « après la formation des villes, les artisans étrangers circulent aussi facilement et aussi loin que les marchandises[1]. » L’organisation segmentaire a perdu de son relief.

Elle le perd de plus en plus à mesure que les sociétés se développent. C’est, en effet, une loi générale que les agrégats partiels, qui font partie d’un agrégat plus vaste, voient leur individualité devenir de moins en moins distincte. En même temps que

  1. Schmoller, La Division du travail étudiée au point de vue historique, in Rev. d’écon. pol., 1890, p. 143.