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Mais il s’en faut que le type organisé subsiste seul, à l’état de pureté, une fois que le clan a disparu. L’organisation à base de clans n’est en effet qu’une espèce d’un genre plus étendu : l’organisation segmentaire. La distribution de la société en compartiments similaires correspond à des nécessités qui persistent, même dans les conditions nouvelles où s’établit la vie sociale, mais qui produisent leurs effets sous une autre forme. La masse de la population ne se divise plus d’après les rapports de consanguinité, réels ou fictifs, mais d’après la division du territoire.

Les segments ne sont plus des agrégats familiaux, mais des circonscriptions territoriales. C’est d’ailleurs par une évolution lente que s’est fait le passage d’un état à l’autre. Quand le souvenir de la commune origine s’est éteint, que les relations domestiques qui en dérivent, mais lui survivent souvent comme nous avons vu, ont elles-mêmes disparu, le clan n’a plus conscience de soi que comme d’un groupe d’individus qui occupent une même portion du territoire. Il devient le village proprement dit. C’est ainsi que tous les peuples qui ont dépassé la phase du clan sont formés de districts territoriaux (marches, communes, etc.) qui, comme la gens romaine venait s’engager dans la curie, s’emboîtent dans d’autres districts de même nature, mais plus vastes, appelés ici centaine, là cercle ou arrondissement, et qui, à leur tour, sont souvent enveloppés par d’autres encore plus étendus (comté, province, départements) dont la réunion forme la société[1]. L’emboîtement peut d’ailleurs être plus ou moins hermétique ; de même les liens qui unissent entre eux les districts les plus

    perdu tout caractère politique, conserva une organisation assez forte. (Cf. Gilbert, op. cit., I, p. 142 et 200.)

  1. Nous ne voulons pas dire que ces districts territoriaux ne soient qu’une reproduction des anciens arrangements familiaux ; ce nouveau mode de groupement résulte au contraire, au moins en partie, de causes nouvelles qui troublent l’ancien. La principale de ces causes est la formation des villes, qui deviennent le centre de concentration de la population. (V. plus bas liv. II, ch. Il, § 1.) Mais quelles que soient les origines de cet arrangement, il est segmentaire.