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la faire dériver de rien, il en a déduit les arrangements sociaux qu’il observait[1], alors qu’au contraire ce sont ces derniers qui expliquent la puissance et la nature de l’idée religieuse. Parce que toutes ces masses sociales étaient formées d’éléments homogènes, c’est-à-dire parce que le type collectif y était très développé et les types individuels rudimentaires, il était inévitable que toute la vie psychique de la société prit un caractère religieux.

C’est aussi de là que vient le communisme, que l’on a si souvent signalé chez ces peuples. Le communisme, en effet, est le produit nécessaire de cette cohésion spéciale qui absorbe l’individu dans le groupe, la partie dans le tout. La propriété n’est en définitive que l’extension de la personne sur les choses. Là donc où la personnalité collective est la seule qui existe, la propriété elle-même ne peut manquer d’être collective. Elle ne pourra devenir individuelle que quand l’individu, se dégageant de la masse, sera devenu lui aussi un être personnel et distinct, non pas seulement en tant qu’organisme, mais en tant que facteur de la vie sociale[2].

  1. « Nous avons fait l’histoire d’une croyance. Elle s’établit : la société humaine se constitue. Elle se modifie : la société traverse une série de révolutions. Elle disparaît : la société change de face. » (Cité antique, fin.)
  2. M. Spencer a déjà dit que l’évolution sociale, comme d’ailleurs l’évolution universelle, débutait par un stade de plus ou moins parfaite homogénéité. Mais cette proposition, telle qu’il l’entend, ne ressemble en rien à celle que nous venons de développer. Pour M. Spencer, en effet, une société qui serait parfaitement homogène ne serait pas vraiment une société ; car l’homogène est instable par nature et la société est essentiellement un tout cohérent. Le rôle social de l’homogénéité est tout secondaire ; elle peut frayer la voie à une coopération ultérieure (Soc., III, p. 368), mais elle n’est pas une source spécifique de vie sociale. À certains moments, M. Spencer semble ne voir dans les sociétés que nous venons de décrire qu’une juxtaposition éphémère d’individus indépendants, le zéro de la vie sociale (Ibid., p. 390). Nous venons de voir, au contraire, qu’elles ont une vie collective très forte, quoique sui generis, qui se manifeste non par des échanges et des contrats, mais par une grande abondance de croyances et de pratiques communes. Ces agrégats sont cohérents, non seulement quoique homogènes, mais dans la mesure où ils sont homogènes. Non seulement la communauté n’y est pas trop faible, mais on peut dire qu’elle existe seule. De plus, elles ont un type défini qui dérive de leur homogénéité. On ne peut donc les traiter comme des quantités négligeables.