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rales et très indéterminées, qui laissent la place libre à une multitude croissante de dissidences individuelles. Il y a bien un endroit où elle s’est affermie et précisée, c’est celui par où elle regarde l’individu. À mesure que toutes les autres croyances et toutes les autres pratiques prennent un caractère de moins en moins religieux, l’individu devient l’objet d’une sorte de religion. Nous avons pour la dignité de la personne un culte qui, comme tout culte fort, a déjà ses superstitions. C’est donc bien, si l’on veut, une foi commune ; mais d’abord, elle n’est possible que par la ruine des autres et, par conséquent, ne saurait produire les mêmes effets que cette multitude de croyances éteintes. Il n’y a pas compensation. De plus, si elle est commune en tant qu’elle est partagée par la communauté, elle est individuelle par son objet. Si elle tourne toutes les volontés vers une même fin, cette fin n’est pas sociale. Elle a donc une situation tout à fait exceptionnelle dans la conscience collective. C’est bien de la société qu’elle tire tout ce qu’elle a de force, mais ce n’est pas à la société qu’elle nous attache : c’est à nous-mêmes. Par conséquent, elle ne constitue pas un lien social véritable. C’est pourquoi on a pu justement reprocher aux théoriciens qui ont fait de ce sentiment la base exclusive de leur doctrine morale, de dissoudre la société. Nous pouvons donc conclure en disant que tous les liens sociaux qui résultent de la similitude se détendent progressivement.

À elle seule, cette loi suffit déjà à montrer toute la grandeur du rôle de la division du travail. En effet, puisque la solidarité mécanique va en s’affaiblissant, il faut ou que la vie proprement sociale diminue, ou qu’une autre solidarité vienne peu à peu se substituer à celle qui s’en va. Il faut choisir. En vain on soutient que la conscience collective s’étend et se fortifie en même temps que celle des individus. Nous venons de prouver que ces deux termes varient en sens inverse l’un de l’autre. Cependant le progrès social ne consiste pas en une dissolution continue ; tout au contraire, plus on s’avance, plus les sociétés ont un profond