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Ainsi tout concourt à prouver que l’évolution de la conscience commune se fait dans le sens que nous avons indiqué. Très vraisemblablement, elle progresse moins que les consciences individuelles ; en tout cas, elle devient plus faible et plus vague dans son ensemble. Le type collectif perd de son relief ; les formes en sont plus abstraites et plus indécises. Sans doute, si cette décadence était, comme on est souvent porté à le croire, un produit original de notre civilisation la plus récente et un événement unique dans l’histoire des sociétés, on pourrait se demander si elle sera durable ; mais, en réalité, elle se poursuit d’une manière ininterrompue depuis les temps les plus lointains. C’est ce que nous nous sommes attaché à démontrer. L’individualisme, la libre pensée ne datent ni de nos jours, ni de 1789, ni de la réforme, ni de la scolastique, ni de la chute du polythéisme gréco-latin ou des théocraties orientales. C’est un phénomène qui ne commence nulle part, mais qui se développe sans s’arrêter tout le long de l’histoire. Assurément, ce développement n’est pas rectiligne. Les sociétés nouvelles qui remplacent les types sociaux éteints ne commencent jamais leur carrière au point précis où ceux-ci ont cessé la leur. Comment serait-ce possible ? Ce que l’enfant continue, ce n’est pas la vieillesse ou l’âge mûr de ses parents, mais leur propre enfance. Si donc on veut se rendre compte du chemin parcouru, il faut ne considérer les sociétés successives qu’à la même époque de leur vie. Il faut, par exemple, comparer les sociétés chrétiennes du moyen âge avec la Rome primitive, celle-ci avec la cité grecque des origines, etc. On constate alors que ce progrès, ou, si l’on veut, cette régression s’est accomplie, pour ainsi dire, sans solution de continuité. Il y a donc là une loi inéluctable contre laquelle il serait absurde de s’insurger.

Ce n’est pas à dire, d’ailleurs, que la conscience commune soit menacée de disparaître totalement. Seulement, elle consiste de plus en plus eu des manières de penser et de sentir très géné-