Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il est réellement moins agi ; il devient davantage une source d’activité spontanée. En un mot, non seulement le domaine de la religion ne s’accroît pas en même temps que celui de la vie temporelle et dans la même mesure, mais il va de plus en plus en se rétrécissant. Cette régression n’a pas commencé à tel ou tel moment de l’histoire ; mais on peut en suivre les phases depuis les origines de l’évolution sociale. Elle est donc liée aux conditions fondamentales du développement des sociétés, et elle témoigne ainsi qu’il y a un nombre toujours moindre de croyances et de sentiments collectifs qui sont et assez collectifs et assez forts pour prendre un caractère religieux. C’est dire que l’intensité moyenne de la conscience commune va elle-même en s’affaiblissant.

Cette démonstration a sur la précédente un avantage : elle permet d’établir que la même loi de régression s’applique à l’élément représentatif de la conscience commune, tout comme à l’élément passionnel. À travers le droit pénal, nous ne pouvons atteindre que des phénomènes de sensibilité, tandis que la religion comprend, outre des sentiments, des idées et des doctrines.

La diminution du nombre des proverbes, des adages, des dictons, etc., à mesure que les sociétés se développent, est une autre preuve que les représentations collectives vont, elles aussi, en s’indéterminant.

Chez les peuples primitifs, en effet, les formules de ce genre sont très nombreuses. « La plupart des races de l’ouest de l’Afrique, dit Ellis, possèdent une abondante collection de proverbes ; il y en a un au moins pour chaque circonstance de la vie, particularité qui leur est commune avec la plupart des peuples qui ont fait peu de progrès dans la civilisation[1]. » Les sociétés plus avancées ne sont un peu fécondes à ce point de vue que pendant les premiers temps de leur existence. Plus tard, non

  1. The ewe-Speaking Peoples of the Slaves Coast. Londres, 1890, p 258.