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V


On pourrait vérifier encore cette proposition en procédant d’après une méthode que nous ne ferons qu’indiquer brièvement.

Nous ne possédons pas actuellement de notion scientifique de ce que c’est que la religion ; pour l’obtenir, en effet, il faudrait avoir traité le problème par cette même méthode comparative que nous avons appliquée à la question du crime, et c’est une tentative qui n’a pas encore été faite. On a dit souvent que la religion était, à chaque moment de l’histoire, l’ensemble des croyances et des sentiments de toute sorte relatifs aux rapports de l’homme avec un être ou des êtres dont il regarde la nature comme supérieure à la sienne. Mais une telle définition est manifestement inadéquate. En effet, il y a une multitude de règles, soit de conduite, soit de pensée, qui sont certainement religieuses et qui pourtant s’appliquent à des rapports d’une tout autre sorte. La religion défend au Juif de manger de certaines viandes, lui ordonne de s’habiller d’une manière déterminée ; elle impose telle ou telle opinion sur la nature de l’homme et des choses, sur les origines du monde ; elle règle bien souvent les relations juridiques, morales, économiques. Sa sphère d’action s’étend donc bien au delà du commerce de l’homme avec le divin. On assure d’ailleurs qu’il existe au moins une religion sans Dieu[1] : il suffirait que ce seul fait fût bien établi pour qu’on n’eût plus le droit de définir la religion en fonction de l’idée de Dieu. Enfin, si l’autorité extraordinaire que le croyant prête à la divinité peut rendre compte du prestige particulier de tout ce qui est religieux, il reste à expliquer comment les hommes ont été conduits à attribuer une telle autorité à un être qui, de l’aveu de tout le monde, est, dans bien des cas, sinon toujours, un produit de leur imagi-

  1. Le Bouddhisme. (V. article sur le Bouddhisme dans l’Encyclopédie des sciences religieuses.)