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gement qui se soit produit, c’est qu’un élément ancien est devenu plus intense. Mais ce simple renforcement ne saurait compenser les pertes multiples et graves que nous avons constatées.

Ainsi, dans l’ensemble, la conscience commune compte de moins en moins de sentiments forts et déterminés ; c’est donc que l’intensité moyenne et le degré moyen de détermination des états collectifs vont toujours en diminuant, comme nous l’avions annoncé. Même l’accroissement très restreint que nous venons d’observer ne fait que confirmer ce résultat. Il est, en effet, très remarquable que les seuls sentiments collectifs qui soient devenus plus intenses sont ceux qui ont pour objet, non des choses sociales, mais l’individu. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que la personnalité individuelle soit devenue un élément beaucoup plus important de la vie de la société ; et, pour qu’elle ait pu acquérir cette importance, il ne suffit pas que la conscience personnelle de chacun se soit accrue en valeur absolue, mais encore qu’elle se soit accrue plus que la conscience commune. Il faut qu’elle se soit émancipée du joug de cette dernière et, par conséquent, que celle-ci ait perdu de l’empire et de l’action déterminante qu’elle exerçait dans le principe. En effet, si le rapport entre ces deux termes était resté le même, si l’une et l’autre s’étaient développées en volume et en vitalité dans les mêmes proportions, les sentiments collectifs qui se rapportent à l’individu seraient, eux aussi, restés les mêmes ; surtout ils ne seraient pas les seuls à avoir grandi. Car ils dépendent uniquement de la valeur sociale du facteur individuel, et celle-ci, à son tour, est déterminée, non par le développement absolu de ce facteur, mais par l’étendue relative de la part qui lui revient dans l’ensemble des phénomènes sociaux.