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hibe les attentats contre la personne ; car des hommes qui se ressemblent ne peuvent vivre ensemble sans que chacun éprouve pour ses semblables une sympathie qui s’oppose à tout acte de nature à les faire souffrir[1].

Tout ce qu’il y a de vrai dans cette théorie, c’est d’abord que les lois protectrices de la personne laissaient autrefois en dehors de leur action une partie de la population, à savoir les enfants et les esclaves. Ensuite, il est légitime de croire que cette protection est assurée maintenant avec un soin plus jaloux, et par conséquent que les sentiments collectifs qui y correspondent sont devenus plus forts. Mais il n’y a dans ces deux faits rien qui infirme notre conclusion. Si tous les individus qui, à un titre quelconque, font partie de la société, sont aujourd’hui également protégés, cet adoucissement des mœurs est dû, non à l’apparition d’une règle pénale vraiment nouvelle, mais à l’extension d’une règle ancienne. Dès le principe, il était défendu d’attenter à la vie des membres du groupe ; mais cette qualité était refusée aux enfants et aux esclaves. Maintenant que nous ne faisons plus ces distinctions, des actes sont devenus punissables qui n’étaient pas criminels. Mais c’est simplement parce qu’il y a plus de personnes dans la société, et non parce qu’il y a plus de sentiments collectifs. Ce n’est pas eux qui se sont multipliés, mais l’objet auquel ils se rapportent. Si pourtant il y a lieu d’admettre que le respect de la société pour l’individu est devenu plus fort, il ne s’ensuit pas que la région centrale de la conscience commune se soit étendre. Il n’y est pas entré d’éléments nouveaux, puisque de tout temps ce sentiment a existé et de tout temps a eu assez d’énergie pour ne pas tolérer qu’on le froissât. Le seul chan-

  1. Cette proposition ne contredit pas cette autre, souvent énoncée au cours de ce travail, que, à ce moment de révolution, la personnalité individuelle n’existe pas. Celle qui fait alors défaut, c’est la personnalité psychique et surtout la personnalité psychique supérieure. Mais les individus ont toujours une vie organique distincte, et cela suffit pour donner naissance à cette sympathie, quoiqu’elle devienne plus forte quand la personnalité est plus développée.