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fût traitée d’impiété, quoique l’élasticité naturelle de cette accusation eût permis parfois de l’intenter dans ce cas[1]. Il est évident d’ailleurs que la conscience religieuse devait être moins intolérante dans la patrie des sophistes et de Socrate que dans une société théocratique comme était le peuple juif. Pour que la philosophie ait pu y naître et s’y développer, il a fallu que les croyances traditionnelles ne fussent pas assez fortes pour en empêcher l’éclosion.

À Rome, elles pèsent d’un poids moins lourd encore sur les consciences individuelles. M. Fustel de Coulanges a justement insisté sur le caractère religieux de la société romaine ; mais, comparé aux peuples antérieurs, l’état romain était beaucoup moins pénétré de religiosité[2]. Les fonctions politiques, séparées très tôt des fonctions religieuses, se les subordonnèrent. « Grâce à cette prépondérance du principe politique et au caractère politique de la religion romaine, l’État ne prêtait à la religion son appui qu’autant que les attentats dirigés contre elle le menaçaient indirectement. Les croyances religieuses d’États étrangers ou d’étrangers vivant dans l’empire romain étaient tolérées, si elles se renfermaient dans leurs limites et ne touchaient pas de trop près à l’État[3]. » Mais l’État intervenait si des citoyens se tournaient vers des divinités étrangères et, par là, nuisaient à la religion nationale. Toutefois, « ce point était traité moins comme une question de droit que comme un intérêt de haute administration, et l’on intervint contre ces actes, suivant l’exigence des circonstances, par des édits d’avertissement et de prohibition ou par des châtiments allant jusqu’à la mort[4].» Les procès religieux n’ont certainement pas eu autant d’importance dans la justice criminelle de Rome que dans celle d’Athènes. Nous n’y

  1. Meier et Schömann, op. cit., 369. — Cf. Dictionnaire des Antiquités, art. Asebeia.
  2. M. Fustel reconnaît lui-même que ce caractère était beaucoup plus marqué dans la cité athénienne. (La Cité., ch. XVIII, dernières lignes.)
  3. Rein, op. cit., p. 887-88.
  4. Walter, op. cit., § 804.