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c’est la science de la morale ; car, en même temps qu’elle nous enseigne à respecter la réalité morale, elle nous fournit les moyens de l’améliorer.

Nous croyons donc que la lecture de cet ouvrage peut et doit être abordée sans défiance et sans arrière-pensée. Toutefois, le lecteur doit s’attendre à y rencontrer des propositions qui heurteront certaines opinions reçues. Comme nous éprouvons le besoin de comprendre ou de croire comprendre les raisons de notre conduite, la réflexion s’est appliquée à la morale bien avant que celle-ci ne soit devenue objet de science. Une certaine manière de nous représenter et de nous expliquer les principaux faits de la vie morale nous est ainsi devenue habituelle, qui pourtant n’a rien de scientifique ; car elle s’est formée au hasard et sans méthode, elle résulte d’examens sommaires, superficiels, faits en passant, pour ainsi dire. Si l’on ne s’affranchit pas de ces jugements tout faits, il est évident que l’on ne saurait entrer dans les considérations qui vont suivre ; la science, ici comme ailleurs, suppose une entière liberté d’esprit. Il faut se défaire de ces manières de voir et de juger qu’une longue accoutumance a fixées en nous ; il faut se soumettre rigoureusement à la discipline du doute méthodique. Ce doute est d’ailleurs sans danger ; car il porte, non sur la réalité morale, qui n’est pas en question, mais sur l’explication qu’en donne une réflexion incompétente et mal informée.

Nous devons prendre sur nous de n’admettre aucune explication qui ne repose sur des preuves authentiques. On jugera les procédés que nous avons employés pour donner à nos démonstrations le plus de rigueur possible. Pour soumettre à la science un ordre de faits, il ne suffit pas de