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une nature spéciale, mais plutôt le côté négatif de toute espèce de solidarité. La première condition pour qu’un tout soit cohérent, c’est que les parties qui le composent ne se heurtent pas en des mouvements discordants. Mais cet accord externe n’en fait pas la cohésion ; au contraire, il la suppose. La solidarité négative n’est possible que là où il en existe une autre, de nature positive, dont elle est à la fois la résultante et la condition.

En effet, les droits des individus, tant sur eux-mêmes que sur les choses, ne peuvent être déterminés que grâce à des compromis et à des concessions mutuelles ; car tout ce qui est accordé aux uns est nécessairement abandonné par les autres. On a dit parfois que l’on pouvait déduire l’étendue normale du développement de l’individu soit du concept de la personnalité humaine (Kant), soit de la notion de l’organisme individuel (Spencer). C’est possible, quoique la rigueur de ces raisonnements soit très contestable. En tout cas, ce qui est certain, c’est que, dans la réalité historique, ce n’est pas sur ces considérations abstraites que l’ordre moral s’est fondé. En fait, pour que l’homme ait reconnu des droits a autrui, non pas seulement en logique, mais dans la pratique de la vie, il a fallu qu’il consentît à limiter les siens, et, par conséquent, cette limitation mutuelle n’a pu être faite que dans un esprit d’entente et de concorde. Or, si l’on suppose une multitude d’individus sans liens préalables entre eux, quelle raison aurait pu les pousser à ces sacrifices réciproques ? Le besoin de vivre en paix ? Mais la paix par elle-même n’est pas chose plus désirable que la guerre. Celle-ci a ses charmes et ses avantages. Est-ce qu’il n’y a pas eu des peuples, est-ce qu’il n’y a pas de tout temps des individus dont elle est la passion ? Les instincts auxquels elle répond ne sont pas moins forts que ceux que la paix satisfait. Sans doute, la fatigue peut bien pour un temps mettre fin aux hostilités, mais cette simple trêve ne peut pas être plus durable que la lassitude temporaire qui la détermine. Il en est à plus forte raison de même des dénouements qui sont dus au seul triomphe