Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

idées étaient incompatibles avec la nature de la cité romaine. Notre cosmopolitisme ne pouvait pas plus y apparaître qu’une plante ne peut germer sur un sol incapable de la nourrir ; et, d’ailleurs, il ne pouvait être pour elle qu’un principe de mort. Inversement, s’il a fait depuis son apparition, ce n’est pas à la suite de découvertes philosophiques ; ce n’est pas que nos esprits se soient ouverts à des vérités qu’ils méconnaissaient ; c’est que des changements se sont produits dans la structure des sociétés, qui ont rendu nécessaire ce changement dans les mœurs. La morale se forme donc, se transforme et se maintient pour des raisons d’ordre expérimental ; ce sont ces raisons seules que la science de la morale entreprend de déterminer.

Mais de ce que nous nous proposions avant tout d’étudier la réalité, il ne s’ensuit pas que nous renoncions à l’améliorer ; nous estimerions que nos recherches ne méritent pas une heure de peine si elles ne devaient avoir qu’un intérêt spéculatif. Si nous séparons avec soin les problèmes théoriques des problèmes pratiques, ce n’est pas pour négliger ces derniers ; c’est, au contraire, pour nous mettre en état de les mieux résoudre. C’est pourtant une habitude que de reprocher à tous ceux qui entreprennent d’étudier la morale scientifiquement leur impuissance à formuler un idéal. On dit que leur respect du fait ne leur permet pas de le dépasser ; qu’ils peuvent bien observer ce qui est, mais non pas nous fournir des règles de conduite pour l’avenir. Nous espérons que ce livre servira du moins à ébranler ce préjugé ; car on y verra que la science peut nous aider à trouver le sens dans lequel nous devons orienter notre conduite, à déterminer l’idéal vers lequel nous tendons confusément. Seulement, nous ne nous élèverons à cet idéal qu’après avoir