Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.

On a soutenu cependant que ce rôle n’avait rien de proprement social, mais se réduisait à celui de conciliateur des intérêts privés ; que, par conséquent, tout particulier pouvait le remplir, et que, si la société s’en chargeait, c’était uniquement pour des raisons de commodité. Mais rien n’est plus inexact que de faire de la société une sorte de tiers-arbitre entre les parties. Quand elle est amenée à intervenir, ce n’est pas pour mettre d’accord des intérêts individuels ; elle ne cherche pas quelle peut être la solution la plus avantageuse pour les adversaires et ne leur propose pas de compromis ; mais elle applique au cas particulier qui lui est soumis les règles générales et traditionnelles du droit. Or, le droit est chose sociale au premier chef, et qui a un tout autre objet que l’intérêt des plaideurs. Le juge qui examine une demande de divorce ne se préoccupe pas de savoir si cette séparation est vraiment désirable pour les époux, mais si les causes qui sont invoquées rentrent dans l’une des catégories prévues par la loi.

Mais, pour bien apprécier l’importance de l’action sociale, il faut l’observer, non pas seulement au moment où la sanction s’applique, où le rapport troublé est rétabli, mais aussi quand il s’institue.

Elle est en effet nécessaire soit pour fonder, soit pour modifier nombre de relations juridiques que régit ce droit et que le consentement des intéressés ne suffit ni à créer ni à changer. Telles sont notamment celles qui concernent l’état des personnes. Quoique le mariage soit un contrat, les époux ne peuvent ni le former, ni le résilier à leur gré. Il en est de même de tous les autres rapports domestiques et, à plus forte raison, de tous ceux que réglemente le droit administratif. Il est vrai que les obligations proprement contractuelles peuvent se nouer et se dénouer par le seul accord des volontés. Mais il ne faut pas oublier que, si le contrat a le pouvoir de lier, c’est la société qui le lui communique. Supposez, qu’elle ne sanctionne pas les obligations contractées, celles-ci deviennent de simples promesses qui n’ont