Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quand même il ne serait coupable que d’ignorance. Les raisons de cette règle paraissent donc être tout autres : étant donné que la justice n’est pas rendue gratuitement, il parait équitable que les frais en soient supportés par celui qui en a été l’occasion. Il est possible d’ailleurs que la perspective de ces dépenses arrête le plaideur téméraire ; mais cela ne suffit pas à en faire une peine. La crainte de la ruine qui suit d’ordinaire la paresse ou la négligence peut rendre le négociant actif et appliqué, et pourtant la ruine n’est pas, au sens propre du mot, la sanction pénale de ses fautes.

Le manquement à ces règles n’est même pas puni d’une peine diffuse. Le plaideur qui a perdu son procès n’est pas flétri, son honneur n’est pas entaché. Nous pouvons même imaginer que ces règles sont autres qu’elles ne sont, sans que cela nous révolte. L’idée que le meurtre puisse être toléré nous indigne, mais nous acceptons très bien que le droit successoral soit modifié, et beaucoup conçoivent même qu’il puisse être supprimé. C’est du moins une question que nous ne refusons pas de discuter. De même, nous admettons sans peine que le droit des servitudes ou celui des usufruits soit autrement organisé, que les obligations du vendeur et de l’acheteur soient déterminées d’une autre manière, que les fonctions administratives soient distribuées d’après d’autres principes. Comme ces prescriptions ne correspondent en nous à aucun sentiment, et comme généralement nous n’en connaissons pas scientifiquement les raisons d’être puisque cette science n’est pas faite, elles n’ont pas de racines chez la plupart d’entre nous. Sans doute il y a des exceptions. Nous ne tolérons pas l’idée qu’un engagement contraire aux mœurs ou obtenu soit par la violence, soit par la fraude, puisse lier les contractants. Aussi, quand l’opinion publique se trouve en présence de cas de ce genre, se montre-t-elle moins indifférente que nous ne disions tout à l’heure et aggrave-t-elle par son blâme la sanction légale. C’est que les différents domaines de la vie morale ne sont pas radicalement séparés les uns des autres ; ils sont au contraire