Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.

même que des états de conscience contraires s’affaiblissent réciproquement, des états de conscience identiques, en s’échangeant, se renforcent les uns les autres. Tandis que les premiers se soustraient, les seconds s’additionnent. Si quelqu’un exprime devant nous une idée qui était déjà nôtre, la représentation que nous nous en faisons vient s’ajouter à notre propre idée, s’y superpose, se confond avec elle, lui communique ce qu’elle-même a de vitalité ; de cette fusion sort une idée nouvelle qui absorbe les précédentes et qui, par suite, est plus vive que chacune d’elles prise isolément. Voilà pourquoi, dans les assemblées nombreuses, une émotion peut acquérir une telle violence ; c’est que la vivacité avec laquelle elle se produit dans chaque conscience retentit dans toutes les autres. Il n’est même pas nécessaire que nous éprouvions déjà par nous-même, en vertu de notre seule nature individuelle, un sentiment collectif, pour qu’il prenne chez nous une telle intensité ; car ce que nous y ajoutons est en somme bien peu de chose. Il suffit que nous ne soyons pas un terrain trop réfractaire pour que, pénétrant du dehors avec la force qu’il tient de ses origines, il s’impose à nous. Puisque donc les sentiments qu’offense le crime sont, au sein d’une même société, les plus universellement collectifs qui soient ; puisqu’ils sont même des états particulièrement forts de la conscience commune, il est impossible qu’ils tolèrent la contradiction. Surtout si cette contradiction n’est pas purement théorique, si elle s’affirme non seulement par des paroles, mais par des actes, comme elle est alors portée à son maximum, nous ne pouvons manquer de nous raidir contre elle avec passion. Une simple remise en état de l’ordre troublé ne saurait nous suffire ; il nous faut une satisfaction plus violente. La force contre laquelle le crime vient se heurter est trop intense pour réagir avec tant de modération. D’ailleurs elle ne pourrait le faire sans s’affaiblir, car c’est grâce à l’intensité de la réaction qu’elle se ressaisit et se maintient au même degré d’énergie.

On peut expliquer ainsi un caractère de cette réaction que l’on