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sympathie générale qui contienne leur antagonisme et qui l’atténue. Mais il faut que cette sympathie soit plus forte que cet antagonisme, autrement elle ne lui survit pas. Ou bien les deux partis en présence renoncent à la lutte quand il est avéré qu’elle ne peut pas aboutir et se contentent de maintenir leurs situations respectives ; ils se tolèrent mutuellement, ne pouvant pas s’entre-détruire. La tolérance réciproque qui clôt parfois les guerres de religion est souvent de cette nature. Dans tous ces cas, si le conflit des sentiments n’engendre pas ses conséquences naturelles, ce n’est pas qu’il ne les recèle, c’est qu’il est empêché de les produire.

D’ailleurs, elles sont utiles en même temps que nécessaires. Outre qu’elles dérivent forcément des causes qui les produisent, elles contribuent à les maintenir. Toutes ces émotions violentes constituent en réalité un appel de forces supplémentaires qui viennent rendre au sentiment attaqué l’énergie que lui soutire la contradiction. On a dit parfois que la colère était inutile parce qu’elle n’était qu’une passion destructive ; mais c’est ne la voir que par un de ses aspects. En fait, elle consiste dans une surexcitation de forces latentes et disponibles qui viennent aider notre sentiment personnel à faire face aux dangers en le renforçant. À l’état de paix, si l’on peut ainsi parler, celui-ci n’est pas suffisamment armé pour la lutte ; il risquerait donc de succomber si des réserves passionnelles n’entraient en ligne au moment voulu ; la colère n’est autre chose qu’une mobilisation de ces réserves. Il peut même se faire que les secours ainsi évoqués dépassant les besoins, la discussion ait pour effet de nous affermir davantage dans nos convictions, bien loin de nous ébranler.

Or, on sait quel degré d’énergie peut prendre une croyance ou un sentiment par cela seul qu’ils sont ressentis par une même communauté d’hommes en relations les uns avec les autres ; les causes de ce phénomène sont aujourd’hui bien connues[1]. De

  1. V. Epinas, Sociétés Animales, passim.