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à fait un délit puisque, si c’est la société qui prononce la peine, ce n’est pas elle qui est maîtresse de l’appliquer. C’est un droit qu’elle confère à la partie lésée qui seule en dispose librement[1]. De même, la vendetta est évidemment un châtiment que la société reconnaît comme légitime, mais qu’elle laisse aux particuliers le soin d’infliger. Ces faits ne font donc que confirmer ce que nous avons dit sur la nature de la pénalité. Si cette sorte de sanction intermédiaire est en partie une chose privée, dans la même mesure ce n’est pas une peine. Le caractère pénal en est d’autant moins prononcé que le caractère social en est plus effacé, et inversement. Il s’en faut donc que la vengeance privée soit le prototype de la peine ; ce n’est au contraire qu’une peine imparfaite. Bien loin que les attentats contre les personnes aient été les premiers qui fussent réprimés, à l’origine ils sont seulement sur le seuil du droit pénal. Ils ne se sont élevés sur l’échelle de la criminalité qu’à mesure que la société s’en est plus complètement saisie, et cette opération, que nous n’avons pas à décrire, ne s’est certainement pas réduite à un simple transfert. Tout au contraire, l’histoire de cette pénalité n’est qu’une suite continue d’empiétements de la société sur l’individu ou plutôt sur les groupes élémentaires qu’elle renferme dans son sein, et le résultat de ces empiétements est de mettre de plus en plus à la place du droit des particuliers celui de la société[2].

Mais les caractères précédents appartiennent tout aussi bien à la répression diffuse qui suit les actions simplement immorales qu’à la répression légale. Ce qui distingue cette dernière, c’est,

  1. Toutefois, ce qui accentue le caractère pénal du délit privé, c’est qu’il entraînait l’infamie, véritable peine publique. (V. Rein, op. cit., 916, et Bouvy, De l’infamie en droit romain. Paris, 1884, 35.)
  2. En tout cas, il importe de remarquer que la vendetta est chose éminemment collective. Ce n’est pas l’individu qui se venge, mais son clan ; Plus tard, c’est au clan ou à la famille qu’est payée la composition.