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En Égypte, les dix livres d’Hermès, qui renfermaient le droit criminel avec toutes les autres lois relatives au gouvernement de l’État, étaient appelés sacerdotaux, et Élien affirme que, de toute antiquité, les prêtres égyptiens exercèrent le pouvoir judiciaire[1]. Il en était de même dans l’ancienne Germanie[2]. En Grèce, la justice était considérée comme une émanation de Jupiter, et le châtiment comme une vengeance du dieu[3]. À Rome, les origines religieuses du droit pénal sont rendues manifestes et par de vieilles traditions[4], et par des pratiques archaïques qui subsistèrent très tard, et par la terminologie juridique elle-même[5]. Or, la religion est chose essentiellement sociale. Bien loin qu’elle ne poursuive que des fins individuelles, elle exerce sur l’individu une contrainte de tous les instants. Elle l’oblige à des pratiques qui le gênent, à des sacrifices, petits ou grands, qui lui coûtent. Il doit prendre sur ses biens les offrandes qu’il est tenu de présenter à la divinité ; il doit prendre sur le temps de son travail ou de ses distractions les moments nécessaires à l’accomplissement des rites ; il doit s’imposer toute sorte de privations qui lui sont commandées, renoncer même à la vie si les dieux l’ordonnent. La vie religieuse est toute faite d’abnégation et de désintéressement. Si donc le droit criminel est primitivement un droit religieux, on peut être sûr que les intérêts qu’il sert sont sociaux. Ce sont leurs propres offenses que les dieux vengent par la peine et non celles des particuliers ; or, les offenses contre les dieux sont des offenses contre la société.

    représentant de Dieu, l’homme de Dieu. (Deutér., I, 17 ; Exode, XXII, 28.) Dans l’Inde, c’était le roi qui jugeait, mais cette fonction était regardée comme essentiellement religieuse. (Manou, VIII, V, 303-311.)

  1. Thonissen, Études sur l’histoire du droit criminel, I, 107.
  2. Zoepfl, Deutsche Rechtsgeschichte, p. 909.
  3. « C’est le fils de Saturne, dit Hésiode, qui a donné aux hommes la justice. » (Travaux et Jours V, 279 et 280, édition Didot.) — « Quand les mortels se livrent… aux actions vicieuses, Jupiter à la longue vue leur inflige un prompt châtiment. » (Ibid., V, 266. Cf. Iliade, XVI, 384 et suiv.)
  4. Walter, op. cit., § 788.
  5. Rein, op. cit., p. 27-36.