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s’opposaient aux crimes proprement dits dont la répression était poursuivie au nom de la cité. On retrouve la même distinction en Grèce, chez les Hébreux[1]. Chez les peuples plus primitifs, la peine semble être parfois une chose encore plus complètement privée, comme tend à le prouver l’usage de la vendetta. Ces sociétés sont composées d’agrégats élémentaires de nature quasi familiale et qui sont commodément désignés par l’expression de clans. Or, lorsqu’un attentat est commis par un ou plusieurs membres d’un clan contre un autre, c’est ce dernier qui châtie lui-même l’offense qu’il a subie[2]. Ce qui accroît encore, au moins en apparence, l’importance de ces faits au point de vue de la doctrine, c’est qu’on a très souvent soutenu que la vendetta avait été primitivement la forme unique de la peine ; celle-ci aurait donc consisté d’abord dans des actes de vengeance privée. Mais alors, si aujourd’hui la société est armée du droit de punir, ce ne peut être, semble-t-il, qu’en vertu d’une sorte de délégation des individus. Elle n’est que leur mandataire. C’est leurs intérêts qu’elle gère à leur place, probablement parce qu’elle les gère mieux, mais ce n’est pas les siens propres. Dans le principe, ils se vengeaient eux-mêmes ; maintenant, c’est elle qui les venge ; mais comme le droit pénal ne peut avoir changé de nature par suite de ce simple transfert, il n’aurait donc rien de proprement social. Si la société paraît y jouer un rôle prépondérant, ce n’est que comme substitut des individus.

Mais, si répandue que soit cette théorie, elle est contraire aux faits les mieux établis. On ne peut pas citer une seule société où la vendetta ait été la forme primitive de la peine. Tout au contraire, il est certain que le droit pénal à l’origine était essentiellement religieux. C’est un fait évident pour l’Inde, pour la Judée, puisque le droit qui y était pratiqué était censé révélé[3].

  1. Chez les Hébreux, le vol, la violation de dépôt, l’abus de confiance, les coups étaient traités comme délits privés.
  2. V. notamment Morgan. Ancient Society. London, 1870, p. 76.
  3. En Judée, les juges n’étaient pas des prêtres, mais tout juge était le