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aveugle de la passion ; il la contient dans de certaines limites, il s’oppose aux violences absurdes, aux ravages sans raison d’être. Plus éclairée, elle se répand moins au hasard ; on ne la voit plus, pour se satisfaire quand même, se tourner contre des innocents. Mais elle reste néanmoins l’âme de la pénalité. Nous pouvons donc dire que la peine consiste dans une réaction passionnelle d’intensité graduée[1].


Mais d’où émane cette réaction ? Est-ce de l’individu ou de la société ?

Tout le monde sait que c’est la société qui punit ; mais il pourrait se faire que ce ne fût pas pour son compte. Ce qui met hors de doute le caractère social de la peine, c’est qu’une fois prononcée, elle ne peut plus être levée que par le gouvernement au nom de la société. Si c’était une satisfaction accordée aux particuliers, ceux-ci seraient toujours maîtres d’en faire la remise : on ne conçoit pas un privilège imposé et auquel le bénéficiaire ne peut pas renoncer. Si c’est la société seule qui dispose de la répression, c’est qu’elle est atteinte alors même que les individus le sont aussi, et c’est l’attentat dirigé contre elle qui est réprimé par la peine.

Cependant on peut citer des cas où l’exécution de la peine dépend de la volonté des particuliers. À Rome, certains méfaits étaient punis d’une amende au profit de la partie lésée qui pouvait y renoncer ou en faire l’objet d’une transaction : c’était le vol non manifeste, la rapine, l’injure, le dommage causé injustement[2]. Ces délits, que l’on appelait privés (delicta privata),

  1. C’est d’ailleurs ce que reconnaissent ceux-là même qui trouvent inintelligible l’idée d’expiation ; car leur conclusion c’est que, pour être mise en harmonie avec leur doctrine, la conception traditionnelle de la peine devrait être totalement transformée et réformée de fond en comble. C’est donc qu’elle repose et a toujours reposé sur le principe qu’ils combattent. (V. Fouillée, Science sociale, p. 307 et suiv.)
  2. Rein, op. cit., 111.