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croyions que le coupable doit souffrir parce qu’il a fait le mal et dans la même mesure. En effet, cette graduation n’est pas nécessaire si la peine n’est qu’un moyen de défense. Sans doute, il y aurait danger pour la société à ce que les attentats les plus graves fussent assimilés à de simples délits ; mais il ne pourrait y avoir qu’avantage, dans la plupart des cas, à ce que les seconds fussent assimilés aux premiers. Contre un ennemi, on ne saurait trop prendre de précautions. Dira-t-on que les auteurs des moindres méfaits ont des natures moins perverses et que, pour neutraliser leurs mauvais instincts, il suffit de peines moins fortes ? Mais si leurs penchants sont moins vicieux, ils ne sont pas pour cela moins intenses. Les voleurs sont aussi fortement enclins au vol que les meurtriers à l’homicide ; la résistance qu’offrent les premiers n’est pas inférieure à celle des seconds et par conséquent, pour en triompher, on devrait recourir aux mêmes moyens. Si, comme on l’a dit, il s’agissait uniquement de refouler une force nuisible par une force contraire, l’intensité de la seconde devrait être uniquement mesurée d’après l’intensité de la première, sans que la qualité de celle-ci entrât en ligne de compte. L’échelle pénale ne devrait donc comprendre qu’un petit nombre de degrés ; la peine ne devrait varier que suivant que le criminel est plus ou moins endurci, et non suivant la nature de l’acte criminel. Un voleur incorrigible serait traité comme un meurtrier incorrigible. Or, en fait, quand même il serait avéré qu’un coupable est définitivement incurable, nous nous sentirions encore tenus de ne pas lui appliquer un châtiment excessif. C’est la preuve que nous sommes restés fidèles au principe du talion, quoique nous l’entendions dans un sens plus élevé qu’autrefois. Nous ne mesurons plus d’une manière aussi matérielle et grossière ni l’étendue de la faute, ni celle du châtiment ; mais nous pensons toujours qu’il doit y avoir une équation entre ces deux termes, que nous ayons ou non avantage à établir cette balance. La peine est donc restée pour nous ce qu’elle était pour nos pères.