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sière. Comme elle n’a pas conscience des services qu’elle rend automatiquement, elle ne peut pas se régler en conséquence ; mais elle se répand un peu au hasard au gré des causes aveugles qui la poussent et sans que rien modère ses emportements. Aujourd’hui, comme nous connaissons davantage le but à atteindre, nous savons mieux utiliser les moyens dont nous disposons : nous nous protégeons avec plus de méthode et par suite plus efficacement. Mais dès le principe, ce résultat était obtenu quoique d’une manière plus imparfaite. Entre la peine d’aujourd’hui et celle d’autrefois il n’y a donc pas un abîme, et, par conséquent, il n’était pas nécessaire que la première devint autre chose qu’elle-même pour s’accommoder au rôle qu’elle joue dans nos sociétés civilisées. Toute la différence vient de ce qu’elle produit ses effets avec une plus grande conscience de ce qu’elle fait. Or, quoique la conscience individuelle ou sociale ne soit pas sans influence sur la réalité qu’elle éclaire, elle n’a pas le pouvoir d’en changer la nature. La structure interne des phénomènes reste la même, qu’ils soient conscients ou non. Nous pouvons donc nous attendre à ce que les éléments essentiels de la peine soient les mêmes que jadis.

Et en effet, la peine est restée, du moins en partie, une œuvre de vengeance. On dit que nous ne faisons pas souffrir le coupable pour le faire souffrir ; il n’en est pas moins vrai que nous trouvons juste qu’il souffre. Peut-être avons-nous tort ; mais ce n’est pas ce qui est en question. Nous cherchons pour le moment à définir la peine telle qu’elle est ou a été, non telle qu’elle doit être. Or il est certain que cette expression de vindicte publique qui revient sans cesse dans la langue des tribunaux n’est pas un vain mot. En supposant que la peine puisse réellement servir à nous protéger pour l’avenir, nous estimons qu’elle doit être avant tout une expiation du passé. Ce qui le prouve, ce sont les précautions minutieuses que nous prenons pour la proportionner aussi exactement que possible à la gravité du crime ; elles seraient inexplicables si nous ne