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II


En premier lieu, la peine consiste dans une réaction passionnelle. Ce caractère est d’autant plus apparent que les sociétés sont moins cultivées. En effet, les peuples primitif punissent pour punir, font souffrir le coupable uniquement pour le faire souffrir et sans attendre pour eux-mêmes aucun avantage de la souffrance qu’ils lui imposent. Ce qui le prouve, c’est qu’ils ne cherchent ni à frapper juste ni à frapper utilement, mais seulement à frapper. C’est ainsi qu’ils châtient les animaux qui ont commis l’acte réprouvé[1] ou même les êtres inanimés qui en ont été l’instrument passif[2]. Alors que la peine n’est appliquée qu’à des personnes, elle s’étend souvent bien au delà du coupable et s’en va atteindre des innocents, sa femme, ses enfants, ses voisins, etc.[3]. C’est que la passion qui est l’âme de la peine ne s’arrête qu’une fois épuisée. Si donc, quand elle a détruit celui qui l’a le plus immédiatement suscitée, il lui reste des forces, elle se répand plus loin d’une manière toute mécanique. Même quand elle est assez modérée pour ne s’en prendre qu’au coupable, elle fait sentir sa présence par la tendance qu’elle a à dépasser en gravité l’acte contre lequel elle réagit. C’est de là que viennent les raffinements de douleur ajoutés au dernier supplice. À Rome encore, le voleur devait non seulement rendre l’objet dérobé, mais encore payer une amende du double ou du quadruple[4]. D’ailleurs, la peine si générale du talion n’est-elle pas une satisfaction accordée à la passion de la vengeance ?

Mais aujourd’hui, dit-on, la peine a changé de nature ; ce n’est

  1. V. Exode, XXI, 28 ; Lév., XX, 19.
  2. Par exemple, le couteau qui a servi à perpétrer le meurtre. — V. Post. Bausteine für eine Allgemeine Rechtswissenschaft, I, 230-231.
  3. V. Exode, XX, 4 et 5 ; Deutéronome, CII, 12-18 ; Thonissen, Étude sur l’histoire du droit criminel, I, 70 et 178 et suiv.
  4. Walter, op. cit., § 793.