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naissance à des habitudes, d’où résultent des tendances qu’il faut désormais satisfaire. De plus, ce sont ces dernières tendances qui seules sont vraiment fondamentales. Les autres n’en sont que des formes spéciales et mieux déterminées ; car, pour trouver du charme à tel ou tel objet, il faut que la sensibilité collective soit déjà constituée de manière à pouvoir le goûter. Si les sentiments correspondants sont abolis, l’acte le plus funeste à la société pourra être non seulement toléré, mais honoré et proposé en exemple. Le plaisir est incapable de créer de toutes pièces un penchant ; il peut seulement attacher ceux qui existent à telle ou telle fin particulière, pourvu que celle-ci soit en rapport avec leur nature initiale.


Cependant, il y a des cas où l’explication précédente ne paraît pas s’appliquer. Il y a des actes qui sont plus sévèrement réprimés qu’ils ne sont fortement réprouvés par l’opinion moyenne. Ainsi, la coalition des fonctionnaires, l’empiétement des autorités judiciaires sur les autorités administratives, des fonctions religieuses sur les fonctions civiles sont l’objet d’une répression qui n’est pas en rapport avec l’indignation qu’ils soulèvent dans les consciences. La soustraction de pièces publiques nous laisse assez indifférents et pourtant est frappée de châtiments assez élevés. Il arrive même que l’acte puni ne froisse directement aucun sentiment collectif : il n’y a rien en nous qui proteste contre le fait de pécher et de chasser en temps prohibé ou de faire passer des voitures trop lourdes sur la voie publique. Cependant il n’y a aucune raison de séparer complètement ces délits des autres ; toute distinction radicale[1] serait arbitraire puisqu’ils présentent tous, à des degrés divers, le même critère externe. Sans doute, dans aucun de ces exemples la peine ne paraît

  1. Il n’y a qu’à voir comment M. Garofalo distingue ce qu’il appelle les vrais crimes des autres (p. 43) ; c’est d’après une appréciation personnelle qui ne repose sur aucun caractère objectif.