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pour ces sortes de procès[1]. À Athènes, sous la législation de Solon, la juridiction criminelle appartenait en partie aux Ἡλιαία, vaste collège qui nominalement comprenait tous les citoyens au-dessus de trente ans[2]. Enfin, chez les nations germano-latines, la société intervient dans l’exercice de ces mêmes fonctions, représentée par le jury. L’état de diffusion où se trouve ainsi cette partie du pouvoir judiciaire serait inexplicable, si les règles dont il assure l’observation et par conséquent les sentiments auxquels ces règles répondent, n’étaient immanents dans toutes les consciences. Il est vrai que, dans d’autres cas, il est détenu par une classe privilégiée ou par des magistrats particuliers. Mais ces faits ne diminuent pas la valeur démonstrative des précédents : car, de ce que les sentiments collectifs ne réagissent plus qu’à travers certains intermédiaires, il ne suit pas qu’ils aient cessé d’être collectifs pour se localiser dans un nombre restreint de consciences. Mais cette délégation peut être due soit à la multiplicité plus grande des affaires qui nécessite l’institution de fonctionnaires spéciaux, soit à la très grande importance prise par certains personnages ou certaines classes et qui en fait les interprètes autorisés des sentiments collectifs.


Cependant on n’a pas défini le crime quand on a dit qu’il consiste dans une offense aux sentiments collectifs ; car il en est parmi ces derniers qui peuvent être offensés sans qu’il y ait crime. Ainsi, l’inceste est l’objet d’une aversion assez générale, et cependant c’est une action simplement immorale. Il en est de même des manquements à l’honneur sexuel que commet la femme en dehors de l’état de mariage, du fait d’aliéner totalement sa liberté entre les mains d’autrui ou d’accepter d’autrui

  1. Cf. Walter, Histoire de la procédure civile et du droit criminel chez les Romains, tr. fr., § 829 ; Rein, Criminalrecht der Romer, p. 63.
  2. Cf. Gilbert, Handbuch der Grieschischen staatsalterhümer. Leipzig, 1881, I, 138.